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Cybersécurité

Comment le "tatouage numérique" pourrait damer le pion aux pirates de vidéos

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- - Isalah Van Hunen (Creative Commons)

Avec l'arrivée des films 4K, les diffuseurs cherchent à renforcer la protection des œuvres. La généralisation des "watermarks" sur les chaînes de télé et les plateformes VoD est à l'étude.

Zone Téléchargement, T411, BitTorrent, The Pirate Bay… En dépit des actions coup de poing orchestrées régulièrement par les forces de l’ordre, le piratage audiovisuel est plutôt en bonne forme. Mais la vie des pirates va peut-être se compliquer à l’avenir, car l’industrie audiovisuelle s’intéresse de plus en plus au tatouage numérique, ou "watermark", une technique qui consiste à intégrer dans les données de contenu un signal imperceptible à l’œil ou à l’oreille, mais persistant, même après manipulation (compression, édition, enregistrement…).

Pour l’instant, ce mouchard est surtout utilisé pour les films et les séries en phase de "prerelease" (avant la sortie), lorsque le contenu passe entre les mains des prestataires, partenaires ou critiques. Ces versions avant l’heure s’appellent des "screeners" et elles disposent toutes d’un tatouage différent. Ce qui permet, en cas de fuite, d’identifier le "traître" qui a vendu la mèche, ou du moins son origine. C’est par exemple ce qui est arrivé en 2015 lorsque – à la suite des séances de visionnage des Oscars – un screener des "Huit salopards" de Quentin Tarentino est apparu sur un site de partage. Certes, le mal était fait – le film a rapidement été copié des millions de fois – mais grâce au watermark, le FBI a pu savoir qu’il s’agissait de la copie destinée au patron d’Alcon Entertainment, une société de production.

Le piratage devient de plus en plus abordable

Mais le tatouage numérique pourrait désormais se généraliser dans la phase "postrelease", et notamment chez les distributeurs de contenus dits premium, comme les chaînes et les plateformes VoD payantes. C’est en tous les cas ce qu’espère ContentArmor, une startup française en pointe sur ce domaine. "Les premiers déploiements de watermarking en distribution grand public datent de l'arrivée de la HD. Mais cela ne s'est pas généralisé, faute de besoin, explique Eric Bénetière, vice-président marketing & sales. Mais depuis, les choses ont beaucoup évolué. Le piratage est devenu beaucoup plus simple. Quelques dizaines d'euros suffisent pour acheter un boîtier permettant de contourner les protections des flux VOD. Avec l'arrivée de la 4K et le renouvellement cyclique des box TV, les systèmes de watermarking ont une carte à jouer."

Et il n'est pas trop tôt, car selon Torrentfreak, les pirates siphonnent déjà les flux 4K de Netflix et Amazon depuis un an. Les diffuseurs tels que Canal ou Orange n'ont pas pour habitude de communiquer sur leur stratégie en la matière, mais il semblerait que tous aient d'ores et déjà consulté des fournisseurs dans ce domaine. Le jour où les déploiements seront effectifs, le flux de chaque abonnée pourra être marqué d'un tatouage qui lui sera propre.

Diffusion de contenu protégé pour plateformes VoD, selon ContentArmor
Diffusion de contenu protégé pour plateformes VoD, selon ContentArmor © DR

L'abonné qui diffusera alors des copies non licites sur le web pourra tout de suite être identifié… à moins qu'il trouve une solution anti-tatouage. C'est difficile, mais ce n'est pas impossible. En 2014, l'éditeur DVD-Ranger a trouvé un moyen pour supprimer le tatouage audio Cinavia dans les films Blue-Ray. Ce watermark notamment utilisé par Sony permet de bloquer la lecture d'un contenu non licite sur les lecteurs Blu-Ray. D'autres solutions sont apparues depuis.

Un moyen pour protéger les photographes

Le watermark pourrait également se généraliser dans un autre domaine, celui de la photographie, où la copie sauvage est également très répandue. La start-up française Lamark propose une plateforme baptisée Imatag permettant aux agences photo et aux photographes indépendants non seulement de marquer leurs œuvres, mais aussi de les identifier sur le web. L'auteur ou l'ayant droit pourra donc savoir qui utilise ses œuvres et, le cas échéant, si c'est licite. "En photographie, c’est assez difficile de faire du tatouage imperceptible et robuste, surtout si l'image doit être diffusée sur Facebook où le taux de compression important peut faire sauter les tatouages. Ce n'est pas le cas de notre technologie", explique Mathieu Desoubeaux, PDG de la société.

Pour identifier les photos sur le web, Lamark fait un peu comme Google. L'entreprise a développé des "crawlers", c'est-à-dire des robots logiciels qui scannent les sites web et indexent leur contenu. "On inspecte 3 millions de pages par jour, principalement sur les sites de presse", précise Mathieu Desoubeaux. La plateforme Imatag se décline en trois offres, en fonction du volume de données: 1 Go (gratuit), 100 Go (10 euros/mois) et illimité (prix en fonction du projet).

A ce jour, plus de cent photographes ont d'ores et déjà adopté ce service. Parmi les premiers clients figurent deux agences, le studio Hans Lucas et la Parisienne de Photographie. Cette dernière assure la diffusion des fonds iconographiques et photographiques de la Ville de Paris. Récemment, Lamark a également été sélectionnée dans le cadre d'un appel à projets du ministère de la Culture pour développer un moteur de recherche d'images.