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Vie numérique

Un brevet qui fait rimer Google avec "Big Brother"

"Ce périmètre est surveillé", un panneau, à Londres.

"Ce périmètre est surveillé", un panneau, à Londres. - -

Un brevet déposé le 2 mai par Google donne les contours d'un projet inquiétant au vu des libertés individuelles. Ce système permettrait à Google de contrôler automatiquement ce qu'écrit un utilisateur, et d'informer une tierce personne si ce qui est écrit est soupçonné de violer une règle.

Nous savons que Google regarde dans les documents que nous lui confions afin de mieux cibler les publicités qu'il nous propose. Un brevet déposé le 2 mai montre que la firme de Mountain View pourrait, bientôt, "lire" les mails que vous écrivez et vous dire si c'est légal. Voire de le signaler automatiquement à une tierce personne.

Vous êtes en train d'écrire un mail quand soudain, une fenêtre pop-up surgit et vous informe que ce que vous êtes en train d'écrire pourrait être en infraction avec le règlement intérieur de votre entreprise, ou les termes de confidentialité de votre contrat de travail.

Dans le même temps, le service juridique de votre employeur reçoit une notification: "Monsieur X. est peut-être en train de briser telle ou telle loi." C'est ce que la technologie nouvellement brevetée par Google serait, théoriquement, en mesure de faire.

Big Brother contrôle ce que vous écrivez

Le formulaire du brevet déniché par Slashdot.org et relayé par le HuffingtonPost.com précise que le "Policy Violation Checker"(vérificateur de violation de règles) est capable de reconnaître une série de "phrases problématiques" inscrites dans une base de données, qui présentent "des implications légales pour une personne ou une compagnie". C'est un peu comme si l'on avait un avocat dans notre boîte mail, nous avertissant lorsque ce que nous écrivons risque de se retourner contre nous, ou notre entreprise.

Certaines entreprises, qui utilisent Gmail comme système de mail professionnel, pourraient s'en servir pour contrôler la correspondance de leurs employés avec des critères qui leur sont propres. En effet, chaque entreprise serait libre de choisir et paramétrer les éléments déclencheurs. On peut imaginer, par exemple, que tout message semblant dénigrer son entreprise soit automatiquement relevé par la direction, qu'il soit à destination de ses partenaires, de ses collègues, ou de son délégué syndical.

Mais Big Brother ne se contente plus de lire, il contrôle ce que vous écrivez. Car le système est en mesure de proposer des reformulations plus acceptables envers le règlement intérieur.

Sanctionné avant même d'avoir commis un impair

Cet outil menace-t-il les libertés individuelles? Pas le moins du monde, selon la doctrine d'Eric Schmidt, à l'époque PDG de Google.

Il avait déclaré, dans une interview donnée à la chaîne CNBC en 2010, au sujet des traces personnelles laissées sur le Web: "S'il y a quelque chose que vous voulez tenir secret, peut-être n'auriez-vous pas dû le faire en premier lieu." Utilisant, au passage, le fameux argument du "ceux qui n'ont rien à cacher n'ont pas à le craindre" qui abolit à lui tout seul tout concept de vie privée, en partant du principe que ceux qui maîtrisent ces technologies seront toujours animés des meilleures intentions.

Dans ce monde merveilleux, des gens pourront être sanctionnés avant même d'avoir commis les faits qui leur seront reprochés, puisque le système sera activé à la frappe et une tierce personne prévenue avant l'envoi du mail ou la transmission du document. Mais tout va bien, nous explique Google dans le brevet: "C'est dans l'intérêt des entreprises de prévenir les violations de leurs règles ou lois avant qu'elles aient lieu."

Vers une surveillance généralisée des utilisateurs de Google?

Mais que se passera-t-il si ces bases de données, compatibles avec tout type de terminal, comme un smartphone géolocalisé, sont utilisées par des patrons un peu trop autoritaires? Par des régimes moins démocratiques que le nôtre? Google va-t-il être tenu de livrer les malfaiteurs à la police? De rendre automatiquement public les écarts sentimentaux des personnages publics? De mettre en place, en fait, une surveillance généralisée de ses utilisateurs?

Déposer un brevet ne veut pas dire l'exploiter, et il reste à voir comment il sera appliqué. Mais si d'aventure la firme de Mountain View devait mettre en marche un tel système, un grand débat pourrait naître tant ses possibilités théoriques sont inquiétantes. Cela pourrait être le faux-pas qui ferait définitivement de Google "le mal incarné" aux yeux du public, comme Microsoft en son temps.

Olivier Laffargue