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"Le 'Meilleur des mondes' prend tout son sens aujourd’hui"

Le collectif Stop the Cyborgs propose d'afficher un panonceau anti Google Glass dans les lieux publics pour protéger la vie privée des usagers.

Le collectif Stop the Cyborgs propose d'afficher un panonceau anti Google Glass dans les lieux publics pour protéger la vie privée des usagers. - -

Les nouvelles technologies sont-elles compatibles avec le respect de la vie privée? Pour Jean-Claude Vitran, spécialiste des libertés individuelles à la Ligue des droits de l'homme, l'humanité est confrontée à des changements si profonds qu'elle a besoin de s'arrêter pour réfléchir. Interview.

La question des libertés individuelles et des nouvelles technologies vient d'ouvrir un nouveau chapitre avec le développement par Google de lunettes filmant en permanence ce qui se passe devant elles.

Alors qu'un groupe de militants commence à combattre ces appareils qui rendent théoriquement possible une surveillance généralisée, Jean-Claude Vitran, spécialiste des libertés et des technologies de l'information à la Ligue des droits de l'homme (LDH), revient sur la problématique conciliation de la vie privée et de la technologie.

Voyez-vous un danger dans le développement du projet Google Glass?

La première question à se poser est: est-on certain que le fait de développer ces systèmes, qui permettent de connaître où on est en permanence, joue en faveur de la liberté? Je dis que ça a une influence négative sur nos libertés, et je préfère me déplacer anonymement. Mais je pense qu’un certain nombre de nos contemporains n’ont pas compris ça.

Il y a un danger dans le développement anarchique de toutes les nouvelles technologies, y compris, bien évidemment, de cette technologie-là.

Ce n’est pas tellement l’appareil en soi: si ce n’est pas celui-là, ce sera un autre. Nous, à la LDH, ce qui nous préoccupe, c’est le développement anarchique de la technoscience. D’autant plus que ce développement est à une société libérale qui n’est là que pour faire du profit, sans avoir la conscience éthique qui lui permette de s’arrêter au bon moment, alors que cela modifie des choses très profondes dans nos sociétés. On ne peut pas faire confiance en ces grandes entreprises.

Nous regrettons qu’il n’y ait pas une éthique des nouvelles technologies qui permettrait d’arrêter ces choses-là, parce qu’on entre dans du Huxley, là. Le Meilleur des mondes prend tout son sens aujourd’hui.

Avez-vous du mal à sensibiliser sur la protection de la vie privée?

Les gens ne nous croient pas, il y a un problème de crédibilité. On n’a pas bien compris les moyens de communication et ce sont ceux qui ont du pouvoir qui sont écoutés. Dans cette société très individualiste, les gens ont besoin de s’exprimer. Et puis ces technologies procurent toujours du confort, ce cocooning qu’on met en place change radicalement notre humanité, c’est très dangereux.

Il y a une prise de conscience, beaucoup trichent maintenant avec Facebook, utilisent des pseudonymes, etc. Mais les gens n’auront vraiment cette sagesse que le jour ou ça aura explosé, comme toujours. C’est l’histoire de la grenouille dans la casserole d’eau. [Si vous la plongez dans l'eau très chaude, elle saute hors de la casserole, mais si vous la mettez dans l'eau froide et faites chauffer l'eau progressivement, elle finit par mourir ébouillantée, NDLR]

Peut-on corriger le tir?

On n’a pas encore trouvé la réponse. Il y a de vrais problèmes humains qui se posent et qui exigent une vraie réflexion. Aujourd’hui, me semble-t-il, les philosophes n’ont pas les moyens de faire avancer ces concepts, ou alors ils le font dans leur coin et n’arrivent pas à les exprimer. Il faut que des lumières s’allument pour éclairer le chemin.

C’est la même chose pour le transhumanisme, par exemple. Ceux qui le pratiquent partent du principe qu’ils vont modifier l’être humain pour en faire un surhomme, mais c’est quoi un homme normal? Un sous-homme? Va-t-on créer une humanité à plusieurs vitesses? Ces technosciences nous mettent face à des problèmes essentiels touchant à l’humanité même, il faut commencer par répondre à ces questions.

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