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La NSA a menti: Snowden a bien essayé d’alerter sa hiérarchie

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Des documents déclassifiés par les services de renseignement contredisent la position précédente de la Maison blanche. Mais pour Snowden, la vérité est encore bien loin d'être entière.

Rebondissement dans la saga Snowden : après une longue procédure en justice, les journalistes de ViceNews et d'autres médias ont obtenu des documents qui prouvent que le lanceur d’alerte américain a bien essayé d’alerter sa hiérarchie via des procédures internes avant de communiquer de nombreux documents aux journalistes d’investigation Laura Poitras et Glenn Greenwald. A cela s'ajoute le sentiment que les différentes réponses de la NSA sont sous un contrôle politique très fort.

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Si l’information - officielle - a son importance c’est que la ligne de défense de la NSA en prend un sacré coup. L’agence de renseignement américaine affirmait jusqu’ici que l’ancien consultant en sécurité n’avait pas utilisé les voix administratives « appropriées » pour confier ses craintes quant à la constitutionnalité des pratiques de surveillance généralisées de l’agence, notamment à l’encontre des citoyens américains.

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La NSA s’était jusqu’alors contentée d’affirmer qu’elle n’avait trouvé qu’un seul mail de Snowden. Une affirmation impossible à croire tant les courriers électroniques étaient centraux dans le travail d'Edward Snowden, alors employé de Dell Advanced Solutions Group, en sous-traitance de la NSA.

Révélations parcellaires

Le PDF livré par la NSA ne contient pas de nouvelles fracassantes – logique, on voit mal une agence de renseignement lâcher des informations sensibles dans la nature ! – mais a permis aux équipes de Vice d'analyser avec minutie les échanges de courriers et les éventuelles rencontres en personne de Snowden avec des membres de la NSA. Ce très long article (environ 40 pages A4 si vous décidez de l'imprimer !) retrace minute par minute des discussions internes et la nature de la seule interrogation de Snowden que l'administration veut désormais bien admettre avoir traité avec lui.

Si l'ensemble des documents paraissent vrais leur premier mensonge serait, selon Snowden, leur caractère parcellaire. Réagissant à la sortie de ces documents et à l'article de Vice, le lanceur d'alerte, toujours réfugié en Russie, a exprimé sur Twitter ses doutes non pas sur la nature des documents, mais sur leur exhaustivité - manque de pièces d'une part, mais aussi manque de canaux de diffusion puisque seuls des mails ont été publiés, mais pas des messages des systèmes de communication instantanés « Jabber, IRC, & Lync ».

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Pour le réfugié politique, le second mensonge, au mieux par omission, en l'occurrence, serait que la NSA en aurait encore beaucoup sous le coude, ou pourrait avoir « détruit les preuves ».

Enseignement de procédures illégales

La pierre d'achoppement des communications entre Snowden et sa hiérarchie concerne les formations internes : tout employé, contractuel ou non, suit et doit valider des formations internes pour grimper dans l'administration. Or Snowden s’émouvait du caractère illégal de certaines procédures (précisément la USSID18), notamment le fait que des ordres de l'exécutif (executive orders, EO dans le jargon) puissent prendre le pas sur les lois fédérales (federal statutes). En clair, Edward Snowden était surpris que des ordres puissent être en contradiction avec les lois américaines.

Task-force médiatique et emails perdus

Outre la remise en cause de la position officielle de l'administration américaine qui prouve que celle-ci aurait menti - volontairement ou par incompétence - sur ses premières affirmations qui visaient à discréditer Snowden, l'aride et factuel article de Vice permet aussi d'entrevoir les coulisses de la situation de crise.

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La NSA a en effet mis sur pied une task force importante, utilisée autant pour sa campagne de dénigrement à l'encontre du « traître », que pour les enquêtes internes.

De ces enquêtes à la recherche des emails perdus (excuse peu recevable pour une telle agence), on retient surtout que chacun des intervenants tente de se couvrir au maximum, que tout le monde marche sur des œufs et que les processus décisionnels sont très lents et hésitants. Il est donc probable que la détestation des agents de renseignements à l'encontre de Snowden concerne autant les révélations elles-mêmes que la perte d'énergie et la quantité de ressources assignées à "traiter" son cas.

L'ombre politique

Une puissance s'affiche en filigrane dans cet article : le pouvoir politique. Selon la trame narrative que la NSA a bien voulu laisser filtrer, il semble que cette dernière voulait laver son honneur - autant que reprendre la main sur le storytelling de ce scandale - en publiant un email de Snowden en réponse d'un reportage que NBC allait diffuser au mois de mai 2014.

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Mais le Department of Justice (DoJ), c'est à dire l'équivalent du ministère de la Justice français, ne souhaitait absolument pas que cet email soit publié - pour des raisons que l'on ignore encore. Cette pression politique de la Maison Blanche est palpable à de nombreux niveaux. Notamment quand l'administration présidentielle a éludé le fait que Snowden avait déjà travaillé pour la CIA, une information pourtant fournie par la NSA dans son rapport... au gouvernement Obama.

Le feuilleton Snowden est loin d'être clos et il est quasi certain qu'il ne le sera jamais vraiment, mais en libérant ces documents, la NSA a prouvé... que la première version officielle était fausse, soit par mensonge soit par omission soit par incompétence. Ce qui ne fait que donner plus de poids aux affirmations d'Edward Snowden dont les révélations se sont affinées au fil des publications des différents journaux.

Le bien fondé de ses agissements reste à l'interprétation de chacun - et des lois en vigueur - mais sa bonne foi commence à être difficilement contestable. Et il pourra peut-être étayer un peu plus ses dires puisqu'à la suite de ces publication, Snowden postait sur Twitter : « C'est peut-être le moment d'écrire un livre. »

La NSA l'attend de pied ferme.

Et nous aussi.

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