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Mort en direct : la position intenable de Facebook

Mark Zuckerberg, PDG de Facebook

Mark Zuckerberg, PDG de Facebook - Drew Angerer / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Le réseau social assume la publication d'une vidéo mettant en scène la mort d'un Américain. Mais il se frotte aussi aux limites de sa fonction Live Video.

Au lendemain de la mort de l’Américain Philando Castile, dont l’agonie a été diffusée en direct sur Facebook par sa compagne Diamond Reynolds, Mark Zuckerberg vient de prendre officiellement position sur le réseau social. Mais après avoir rendu hommage à la victime et à ses proches, le patron de Facebook a également justifié le fait de garder la séquence en ligne, à la portée de tous, accompagnée d’un simple message d’avertissement.

“Les images que nous avons vues cette semaine sont crues et bouleversantes, et elles mettent la lumière la peur que ressentent chaque jour des millions de membres de notre communauté. J’espère que nous n’aurons plus à revoir de telles vidéos, mais celle de Diamond nous rappelle qu’il est nécessaire de bâtir ensemble un monde plus ouvert et plus connecté - et tout le chemin qu’il nous reste à faire.” explique Mark Zuckerberg.

Sur la page personnelle de Diamond Reynolds, la vidéo d’une durée de 10 minutes a été vue près de 5 millions de fois à l’heure où nous écrivons ces lignes. Mais contrairement à de nombreux médias français comme Le Monde ou Le Figaro, qui ont choisi de flouter les images, la séquence est en ligne dans sa version la plus brute. Or en revendiquant la nécessité d’une diffusion des images telles qu’elles ont été tournées, le patron de Facebook - qui prend rarement de telles positions - insinue que des images choquantes ont aussi leur place sur le portail.

Des règles très opaques

Dans ses “standards de la communauté”, le site mentionne la diffusion de contenus violents. “Facebook est depuis longtemps un lieu où les gens partagent leurs expériences et sensibilisent l’opinion sur des sujets importants. Parfois, ces expériences et ces sujets impliquent de la violence et des images explicites d’intérêt public, montrant par exemple des cas de non-respect des droits de l’Homme ou des actes de terrorisme. [...] Nous supprimons les images explicites lorsqu’elles sont partagées par sadisme, ou pour célébrer ou glorifier la violence.” peut-on lire sur le site.

Mais l’application de ces règles est pour le moins opaque. En novembre dernier, un community manager avait demandé à Facebook la suppression de vidéos de recrutement de l’Etat islamique, ainsi que des appels à commettre des actes terroristes. Des contenus que les équipes du réseau social avaient jugés conformes à leurs standards. Pour les utilisateurs, la frontière entre ce qu’ils pourront voir ou non est donc mince, voire incompréhensible.

Facebook accusé de couvrir la police

Le message de Mark Zuckerberg est d’autant moins innocent qu’il arrive en même temps que des accusations de complicité avec la police américaine. Après sa diffusion, la vidéo a été supprimée, avant d’être remise en ligne un peu plus tard. Un “problème technique”, se défend Facebook. Sauf que selon le site anglais The Register, ce sont les forces de l’ordre qui ont supprimé la séquence, en utilisant le smartphone de Diamond Reynolds pour accéder à son compte. Une version qui impliquerait une volonté - au moins dans un premier temps - de “couvrir” une éventuelle bavure.

La déclaration de Zuckerberg place aussi Facebook dans une position difficilement tenable, surtout depuis l’arrivée de sa fonction Live Video, disponible dans le monde entier depuis le début de l’année. Diffusés en direct, par milliers - et par millions très bientôt, les contenus sont par nature incontrôlables. Revendiquer la diffusion d’actes violents “pour la bonne cause” n’a que peu de sens lorsque l’équipe de modération les découvre en même temps que les membres.

Et les drames en direct se sont d’ailleurs multipliés, qu’il s’agisse de Facebook ou de Twitter avec Periscope (son application de diffusion en direct). En mai dernier, une jeune fille de 19 ans se suicidait en direct, en se jetant sous un RER. Au mois de juin, l’auteur du meurtre des deux policiers à Magnanville diffusait en direct ses actes sur Facebook Live. Des séquences qui ont à chaque fois été supprimées, mais a posteriori.

Si les chaînes de télévision sont tenues de respecter les recommandations du CSA, Facebook ou Twitter ne dépendent d’aucune autorité dans ce domaine. Comme le souligne le site Buzzfeed, de nouvelles questions émergent concernant l’existence d’un protocole clair lors de la diffusion d’images violentes. Des questions auxquelles Facebook n’a pas souhaité répondre.

https://twitter.com/GrablyR Raphaël Grably Rédacteur en chef adjoint Tech & Co