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Edward Snowden: le lanceur d’alerte ne serait-il qu’un vulgaire espion?

Edward Snowden en Russie, en novembre 2015

Edward Snowden en Russie, en novembre 2015 - LOTTA HARDELIN / DAGENS NYHETER / AFP

Une enquête choc sur l'ancien employé de la NSA soutient qu’Edward Snowden a volé surtout des documents portant sur des secrets militaires et qu’il a collaboré avec le renseignement russe.

Un martyr qui a révélé la surveillance de masse de la NSA au péril de sa vie. C’est l’image d’Edward Snowden aujourd’hui et celle véhiculée par le long métrage d'Oliver Stone sorti cette année. Elle repose en grande partie sur le propre témoignage de l'informaticien et celui des journalistes Laura Poitras et Glenn Greenwald à qui Snowden a confié une partie des documents qu’il avait volé en 2013 alors qu’il travaillait comme analyste pour la société Booz Allen Hamilton pour le compte de la CIA et de la NSA à Hawaï.

Une version que conteste aujourd’hui totalement le journaliste d’investigation Edward Jay Epstein, auteur d’une enquête de trois ans sur le jeune homme. Le livre, How America Lost Its Secrets: Edward Snowden, the Man and the Theft, sera publié ce mois-ci aux Editions Knopf mais l’auteur vient d’en livrer un condensé dans le Wall Street Journal du 30 décembre dernier.

Autant le dire d’emblée, la position d’Edward Jay Epstein est totalement à charge. Il n’a pas de mots assez dur pour qualifier l’attitude de Snowden qui aurait dissimulé "sa mission réelle", et dont "presque tous les éléments du récit" seraient faux. A l’en croire, les propos du jeune homme ne serait donc qu’un tissu de mensonges.

Un espion qui aurait manipulé la NSA pour voler des documents militaires stratégiques

La première hypothèse avancée par Epstein semble la plus fumeuse : il prétend que Snowden se serait fait embaucher intentionnellement par la société Booz Allen Hamilton, afin de se retrouver au contact de documents secrets de la NSA. Sous-entendu: il avait l’intention dès le départ d’intercepter des informations critiques. Mais le journaliste n’avance aucune preuve tangible dans son article, se contentant de citer une interview du principal intéressé dans un journal de Hong Kong en 2013. II trouve également louche que l’informaticien se soit enfui avec son larcin seulement six semaines après avoir pris ses fonctions.

Par ailleurs, Epstein souligne que la majeure partie des 1,5 million de documents subtilisés ne concernaient pas les pratiques abusives des services de renseignements américains. Les premières révélations qui sont sorties dans la presse dès le mois de juin 2013 portaient pourtant sur la collecte de données téléphoniques de citoyens américains et le programme Prism mené avec le FBI grâce auquel les Etats-Unis ont espionné les communications des utilisateurs de pays étrangers.
Mais Snowden aurait en fait surtout récupéré des détails précieux sur l’organisation et les méthodes de la NSA mettant en péril les intérêts et la défense du pays contre le terrorisme et des Etats rivaux. Des informations de niveau 3 encore jamais dérobées par des espions étrangers depuis la guerre froide. C’est en tous cas ce qu’en disent les militaires qui ont examiné le vol de Snowden à la demande du Pentagone.

Edward Snowden aurait choisi de se réfugier en Russie

La démonstration est encore plus troublante concernant la façon dont Snowden a trouvé refuge en Russie, même si elle repose souvent sur des sources de seconde main comme des articles de presse et des reportages. Le jeune homme prétend avoir fui Hong-Kong pour rejoindre l’Amérique latine. Mais les Etats-Unis auraient révoqué son passeport, alors qu’il était en plein vol, le contraignant à trouver refuge en Russie. Faux rétorque le journaliste, les Etats-Unis auraient annulé ses papiers alors qu’il se trouvait encore à Hong-Kong. Snowden aurait donc su dès le départ qu’il se rendait en Russie.

Etant donné que le jeune homme se retrouvait sans passeport valide, ni visa russe, la compagnie Aeroflot, à bord de laquelle il a voyagé, était forcément complice de sa fuite, avance l'enquêteur. Cette main tendue d’Aeroflot aurait été confirmée par l’avocat de Snowden dès 2013. Mais Epstein va plus loin en affirmant que toute l’opération d’exfiltration a été pilotée par le gouvernement russe avec l’accord de Poutine en personne. Une équipe des opérations spéciales l’aurait même accueilli à l’arrivée de l’avion, tandis que Sarah Harrison, la porte-parole de Wikileaks - site qu'on dit proche des intérêts russes depuis la publication des documents de la Convention démocrate américaine - aurait été dépêchée pour escorter l’analyste jusqu’en Russie et lui acheter de faux billets d’avion pour brouiller les pistes.

Un traître qui collaborerait avec le renseignement russe

Enfin, Edward Snowden avait affirmé avoir détruit ses documents en arrivant à Moscou et être resté à distance des services de renseignements russes. Là encore, Epstein prétend le contraire en s’appuyant sur le témoignage direct d’un parlementaire et d’un avocat russe, tous deux proches du Kremlin. Ils affirment que Snowden avait encore en sa possession des données secrètes et qu’elles lui ont servi de monnaie d’échange avec la Russie.

Ce qui expliquerait pourquoi des informations ont continué à fuiter après l’arrivée de Snowden à Moscou comme la révélation embarrassante sur le téléphone de la chancelière allemande Angela Merkel qui était surveillé par la NSA.

Epstein semble enfin convaincu que Snowden continue de partager ses informations avec la Russie. Il n'y aurait donc plus lieu, selon lui, de le qualifier de "lanceur d'alerte". Un terme bien trop noble pour un simple espion.
En tout cas, cette enquête et ce livre tombent à point nommé, à l'heure où les Etats-Unis viennent d'annoncer des mesures contre la Russie.

Amélie Charnay