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Ils ont mis au point des algorithmes pour manipuler les foules

En mai 2015, les chercheurs de l'Université Technique de Munich ont prouvé qu'ils pouvaient manipuler un groupe en y introduisant un agent.

En mai 2015, les chercheurs de l'Université Technique de Munich ont prouvé qu'ils pouvaient manipuler un groupe en y introduisant un agent. - Andreas Battenberg/TUM

Des chercheurs allemands ont prouvé qu’ils pouvaient prédire le comportement d’un groupe et même l’influencer grâce à un simple modèle mathématique. Pour faciliter, par exemple, les évacuations en situation d’urgence.

Manipuler l’opinion publique, c'est l’une des spécialités des régimes totalitaires mais aussi la tentation de bon nombre de chefs d’Etats démocratiques via leur communication. Les résultats restent cependant toujours aléatoires, tant les interactions sont complexes entre l’émotionnel, le cognitif et le social. Ce n’est pas le cas pour un groupe d’individus engagés dans un mouvement de foule, qu'il soit physique dans la rue, par exemple, ou en ligne comme sur les réseaux sociaux.

"Des personnes fondues dans la masse se comportent comme des particules dans un fluide ou un gaz", explique le professeur Massimo Fornasier, président du Département d'analyse numérique appliquée à l'Université Technique de Munich.
Dans son article Apprentissage et contrôle discret des systèmes multi-agents, il explique que les propriétés individuelles pèsent peu dans une foule qui subit avant tout la force d'attraction du groupe : chacun s'influence mutuellement dans une situation donnée. Son idée force est que les mathématiciens peuvent décrire les comportements collectifs potentiels d'un grand nombre d'individus à l'aide de simulations informatiques.

L'homme en groupe se comporte comme les animaux d'un troupeau

"L’étape suivante consistera à établir des prédictions sur le comportement futur", explique Fornasier. Une expérience a déjà été réalisée dans ce sens en mai 2015 avec l’aide du Centre National de la Recherche Italien et de l'Université de Rome. Les scientifiques ont assigné à deux groupes de 40 étudiants chacun la mission de trouver un endroit précis dans un bâtiment. Ils avaient préalablement glissé deux agents incognito dans l’un des groupes. Ils n’ont eu aucun mal à orienter directement leurs compagnons vers la cible. Ce test a démontré qu’il était possible de prendre le contrôle de systèmes auto-organisés en fournissant un très faible effort. Ce qui vaut aussi pour des ensembles beaucoup plus grands. "En fait, deux à trois agents sont suffisants pour influencer 100 individus", avance Massimo Fornasier.

Première application : orienter la population en situation de stress comme une évacuation d’urgence, par exemple. De tels modèles vont faciliter la recherche dans ce domaine. Mais ils pourraient aussi être utilisés pour étudier les mouvements des investisseurs sur les marchés financiers.

Autre enseignement de ces modèles mathématiques, il est plus efficace de se concentrer sur les défenseurs les plus radicaux d'une opinion. Si vous réussissez à les convaincre, le reste du groupe suit. Comme dans la nature où un chien d’élevage se concentre spontanément toujours sur l’animal le plus éloigné et le plus têtu d’un troupeau.

Les limites des modèles mathématiques

De quoi effrayer tous les citoyens attachés à leur libre arbitre. De tels algorithmes pourraient-il aider à renverser un régime lors d'une manifestation ou mobiliser des internautes pour une mauvaise cause ?

Massio Fornassier est bien conscient des risques de dérives. Il affirme cependant que ses modèles seraient loin de pouvoir fonctionner dans toutes les situations. "Pour prévoir et contrôler, il faut que les interactions possibles entre les agents dans un grand groupe soient réduites à un petit nombre", explique-t-il. "Les prévisions fonctionnent bien dans les groupes qui montrent des modèles généralisés de comportement." Mais le contrôle total des esprits comme dans le roman Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley n’est pas pour demain.

Amélie Charnay