Türk : « Les recruteurs facebookisent les candidats »

Alex Türk, président de la CNIL commente trois points sensibles de l’actualité récente en matière de technologie et de libertés individuelles : le STIC, le Pass Navigo et Facebook.

Alex Türk, président de la Commission Nationale Informatique et Libertés, donne son point de vue sur la prédominance des nouvelles technologies sur notre vie quotidienne. Il explique qu'il faudrait des garanties juridiques et qu'on manque de moyens humains. Un mot d'ordre selon lui : la prudence !

Le STIC, qu'est ce que c'est ?
« Le STIC, c'est le Système de traitement des infractions constatées : un fichier qui répertorie des informations provenant des comptes-rendus d'enquêtes effectuées après l'ouverture d'une procédure pénale. Le plus grand fichier de police concerne 5 millions de « mis en cause » et plus de 28 millions de victimes. Pas besoin d'être condamné : d'où le très grand nombre de personnes qui s'y trouvent, souvent même sans le savoir. »

Quels sont les gros défauts du STIC ?
« Premier problème à l'enregistrement des données : il peut y avoir des erreurs dans la saisie, vous êtes considéré comme un mis en cause alors que vous êtes une victime...
Le deuxième problème c'est la consultation. Il y a 100 000 personnes habilitées à rentrer dans le fichier, à le consulter (ndlr : des fonctionnaires de police). Il n'y a pas assez de rigueur dans la gestion du mot de passe, dans la traçabilité. Nous n'avons pas la garantie que des personnes non habilitées n'entrent pas dans le système.
Troisième point, le plus grave : lorsqu'il y a eu relaxe ou classement sans suite, il faut immédiatement, pour les procureurs, le signaler au grand fichier pour enlever la personne... Or ils ne le font pas. On a fait une simulation : sur 3 ans, il y a un million de personnes qui se trouvent dans le STIC et qui ne devraient pas s'y trouver !
On ne met pas en cause les personnels qui font, à l'Intérieur et à la Justice un très beau boulot. Mais il faut leur donner les moyens et les consignes nécessaires. Les procureurs, s'ils ne transmettent pas les informations, c'est parce qu'ils n'ont pas le temps ou les outils informatiques nécessaires...
La grande leçon, c'est quand on crée un fichier de police, il faut absolument mettre les moyens pour que ce fichier puisse fonctionner conformément à la loi... »

Est-on réellement « fliqués » par le pass Navigo ?
« Je peux comprendre quelqu'un qui va me dire : " j'ai rien à cacher, je m'en fous, de toute façon, on ne peut me tracer que 48 heures avec le pass Navigo... " Oui, mais comme on peut être tracé à 1000 autres endroits, au même moment, dans la journée et dans la ville, si on raisonne comme ça, autant dire qu'on accepte l'idée de vivre dans une société qui sera surveillée. Car tout ça va se conjuguer. »

Y'a-t-il un nouveau danger Facebook ?
« Il faut que les Français et notamment les jeunes fassent très attention : en l'état actuel des choses, on ne peut leur donner aucune garantie parce qu'on n'a pas le même type de concept juridique entre les Etats-Unis et l'Europe. Le résultat c'est que ces grandes sociétés américaines ne respectent pas les règles du droit européen. Quand vous entrez dans le système, vous n'avez plus aucune garantie de pouvoir en sortir totalement... Et puis on devrait aussi s'interroger : qu'est-ce qui pousse à un tel exhibitionnisme mutuel ? Qu'est-ce qui fait qu'un jeune de 20 ans a tellement envie de nous raconter, ce qu'il est, ce qu'il fait, avec qui il sort et en savoir autant sur les autres... Faudra un jour réfléchir à ça. Beaucoup de recruteurs, googlisent, facebookisent leurs candidats. C'est un formidable élément d'informations sur votre vie professionnelle mais aussi sur votre vie sentimentale... Il faut dire aux gens : soyez prudents ! »

La rédaction-Bourdin & Co