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Vie numérique

Pourquoi Wikimedia défend votre droit à partager vos photos

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L’association se bat pour garantir le droit des citoyens de publier sur les réseaux sociaux et blogs des photos de bâtiments et œuvres d’art sans encourir de risque pénal. Un droit évincé du projet de loi pour une République numérique.

Vous pensez pouvoir faire ce que vous voulez avec vos photos de vacances? Vous avez un peu tort : les textes de loi français qui régissent le droit d’auteur encadrent très sévèrement cette pratique notamment en ce qui concerne les clichés de bâtiments, statues et autres œuvres d’art situés dans l’espace public.

Porté par la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, un amendement du Projet de loi pour une République numérique" qui arrive au Sénat aurait pu assouplir notre pratique au travers de l’adoption de la "liberté de panorama".

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Manque de chance pour les partisans de cette évolution dont l’association Wikimedia, mère du projet Wikipedia, de vilains mots sont venus transformer la proposition originale.

"Le texte offrait à l’origine un cadre clair et précis", se désole Nathalie Martin, directrice exécutive de Wikimedia France, "mais la version amendée qui arrive au Sénat rend la loi inutilisable".

Une situation qui conduit aujourd’hui l’association à une grande campagne médiatique intitulée "Pour la liberté de photographier l’espace public" qui a pour but de revenir à l’état originel du texte.

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Les mots incriminés sont "particuliers" et "à des fins non lucratives". Et contrairement à ce que l’on peut penser, il ne s’agit pas du tout d’argent pour Wikimedia, mais plutôt de protéger le "commun" numérique que représente l’encyclopédie et sa bibliothèque de médias.

Architecture = œuvre d’art = droits d’auteurs

Pour comprendre d’où vient cette guerre photographique, tentons de répondre à deux questions.

Prendre une photo de la pyramide du Louvre ? Autorisé.

Prendre une photo de la pyramide du Louvre ET publier la dite photo sur vos comptes de réseaux sociaux/blogs, la publier sur Wikipedia ou la vendre à un éditeur de cartes postales ? Théoriquement interdit dans tous les cas.

  • En effet, les œuvres architecturales sont protégées par le droit d’auteur. Or, et c’est la beauté de la chose, toute reproduction d’une œuvre protégée peut potentiellement vous faire écoper d'une amende allant jusqu’à 300.000 € et vous faire passer jusqu’à 3 ans en prison selon l’article L335-2-1 du code de la propriété intellectuelle.
Si cette photo de la tour Eiffel est légale, la même de nuit lors de la mise en route des effets de lumière ne le serait pas.
Si cette photo de la tour Eiffel est légale, la même de nuit lors de la mise en route des effets de lumière ne le serait pas. © Adrian BRANCO, 01net.com

Cette législation mène à des situations parfois ubuesques : libre à vous de prendre et vendre une photo de la tour Eiffel prise en plein jour, mais gare à ne pas utiliser une photo de nuit !

Le jeu de lumières de la tour Eiffel étant en effet protégé par le droit d’auteur, il vous faudrait contacter l’ayant droit et, sans nul doute, le rémunérer au titre de ce droit d’auteur pour ne pas tomber dans l’illégalité.

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Dans les faits, en France, la jurisprudence permet d’inclure des œuvres dans un cadre dès lors qu’elles ne sont pas le sujet principal de la reproduction (inclusion fortuite). Et par œuvre on entend aussi bien la pyramide du Louvre que l’Arc de Triomphe. 

Par ailleurs, mis à part dans le cas de pratiques implicitement commerciales comme le cas de la lumière de la tour Eiffel, aucun particulier n’a pour l’heure été poursuivi mais il n’empêche que les textes ne nous protègent pas d’un changement d’atmosphère. Et, dans tous les cas, cette remise à l’interprétation oblige, en cas de litige, à laisser un tribunal décider, au cas par cas, la légalité de l’utilisation d’un cliché.

Une incertitude qui freine, notamment, la participation à Wikipedia. Un exemple? La statue de la petite Sirène de Copenhague interdite de reproduction photographique est donc censurée sur la page qui lui est dédiée dans l’encyclopédie collaborative comme en témoigne l’image ci-dessus.

Cette "censure" met en lumière le manque d’harmonisation du droit européen autour de la photographie de l’espace public, une thématique connue sous le nom de "liberté de panorama".

Liberté de panorama : de la tolérance au droit

Née au XIXe siècle en Allemagne, la Panoramafreiheit est une exception au droit d’auteur qui offre la permission de reproduire les œuvres (et donc les bâtiments protégés) qui sont dans l’espace public – mais pas l’intérieur de ces bâtiments.

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- © Maximilian Dörrbecker, CC BY-SA 3.0

Dans son état originel, l’amendement garantissait une vraie liberté de panorama. Loin d’être une disposition permissive poussée par une bande de loufoques, la disposition est soutenue par la Commission des Affaires culturelles et de l’Education de l’Assemblée nationale et fait partie des propositions du rapport rendu par le Conseil national du numérique au gouvernement fin 2015 au titre de l’encouragement du "[…] développement des communs dans la société".

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Loin d’être franco-français, ce combat se mène aussi au niveau de l’Europe, où la députée allemande du parti pirate Julia Reda, rapporteuse du parlement européen sur la mise en œuvre de la directive 2001/29/CE7 concernant l'harmonisation du droit d'auteur en Europe a subi les foudres de Fleur Pellerin et Jean-Marie Cavada.

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Un affrontement qui a mené à nombre de prises de positions des différents protagonistes, une joute aux allures de mauvais feuilleton à la Dallas. Mais s’il est tentant de réduire la situation à l’affrontement du gentil public incarné par Wikimedia aux méchants politiques soutenus par les lobbies (même si cela peut être le cas), la réalité n’est pas si simple.

Car dans le cas de Jean-Marie Cavada, l’eurodéputé de centre-droit – et ancien journaliste – ne cherche a priori pas à limiter les droits des citoyens, mais s’en prend à un troisième groupe de protagonistes : les Google, Facebook, Instagram et autres géants du contenu sur internet.

Clauses légales des réseaux sociaux en ligne de mire

Pour les détracteurs de la liberté de panorama, le problème ne vient pas des utilisateurs, mais des réseaux. Ou plus précisément des clauses d’utilisation des services. Dans le cas de Wikipedia, ce qui inquiète c’est la permissivité de l’utilisation du contenu: tout texte ou média de l’encyclopédie est librement utilisable, que ce soit dans le cadre d’un usage privé comme commercial. Vous pouvez ainsi utiliser une photo du viaduc de Millau prise dans l’article de l’encyclopédie pour illustrer un livre que vous allez vendre, sans reverser un centime à l’architecte du viaduc.

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En ce qui concerne les réseaux sociaux, ce sont les conditions d’utilisation contractuelles qui dédouanent ces réseaux en matière de droit d’auteur qui agacent. Ces derniers se réservent le droit d’utiliser notre contenu à des fins commerciales en partant du principe que c’est à l’utilisateur de garantir la légalité du contenu publié. Le cas échéant, le réseau peut se retourner contre l’utilisateur, lui imputant la faute.

Si la démarche des détracteurs semble légitime, le constat est bien triste: dans l’impossibilité de forcer les géants du Web à modifier leurs clauses d’utilisation, par impuissance ou manque de volonté, les détracteurs de la liberté de panorama sont prêts à sacrifier les droits et intérêts des citoyens plutôt que de frapper plus haut. Il reste à voir comment les sénateurs réagiront face aux arguments des uns et des autres. Prochain rendez-vous le 26 avril, lors de la première lecture du texte au Sénat.