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"Mot-dièse" : la délégation générale de la langue répond

Le mot de l'année 2012 ne supporterait-il pas la traduction ?

Le mot de l'année 2012 ne supporterait-il pas la traduction ? - -

La recommandation officielle de la francisation de "hashtag", publiée ce 23 janvier au Journal officiel, a beaucoup fait rire les utilisateurs de Twitter. Les inventeurs du mot-dièse répondent sur BFMTV.com

Ce matin du 21 janvier sur Twitter, pas d'actu qui vaille. La grippe ? Le Royaume-Uni et l'Europe ? Florence Cassez ? Arrêtez tout, la commission générale de terminologie et de néologie a statué sur la version française du mot "hashtag". L'institution qui a popularisé le "monospace", inventé le "VTT", fait le succès de "mécénat" et créé la "puce" électronique recommande... "mot-dièse".

Le raz-de-marée est tel qu'il n'épargne presque personne, le refus est général. On ressort dans les articles les vieilles tentatives, avortées, de francisations du vocabulaire Internet. Le mot de l'année 2012 ne supporterait-il pas la traduction ?

Interrogée sur la question, Bénédicte Madinier, la chef de la mission de développement et d'enrichissement de la langue française à la délégation générale à la langue française et aux langues de France, répond aux internautes.

"Hashtag" n'évoque rien aux profanes

Franchement, levez la main ceux qui vontréellement remplacer "hashtag" par "mot-dièse" ?#hashtag #motdièse #infodujour
— Alexia Munoz (@Akhesalex) January 23, 2013

La première réaction est la surprise : pourquoi remplacer ce mot que l'on a déjà adopté par un autre, qu'aucun familier de Twitter n'utilise ? Cela donne l'impression qu'un cénacle essaie d'imposer un vocable sorti de nulle part à une communauté qu'il ne connaît pas.

Bénédicte Madinier réplique : "La communauté des internautes a déjà adopté "hashtag", mais c'est une communauté restreinte. Il faut penser aux profanes : "hashtag" n'évoquera rien pour eux, contrairement à "dièse" qui est un symbole partagé par tous."

Pour elle, trouver un équivalent ne relève pas d'une chasse systématique à l'anglais : "Quand une notion devient importante, il faut trouver un moyen de l'exprimer dans notre langue, nous travaillons pour que notre langue reste moderne et dynamique." C'est à chaque fois, un pari sur l'avenir : la délégation recommande, et ça prend, ou pas.

L'affaire du croisillon

Message pour le Journal officiel. Voici un dièse : ♯ - Voici un croisillon : #
— Maxime VALETTE (@maxime) January 23, 2013

Alors, croisillon ou dièse ? Bénédicte Madinier se défend de toute erreur. Peu importent le terme technique ou que le dessin soit plus orienté d'un côté ou l'autre, "l'important, c'est ce que ça évoque aux gens et là, l'image immédiate est celle d'un dièse."

La démarche se veut simplificatrice. Il est vrai que nous ne sommes pas tous des typographes, et il y a de grandes chances pour que "mot-croisillon" eût été encore plus moqué car trop technique.

Un mot-dièse non fonctionnel

@enfantbulle @numerama En plus #mot-dièse ça ne fonctionne pas comme #hashtag... #fail #échec
— Adrien Sebbane (@adriensebbane) January 23, 2013

Une ironie vite balayée : vous utilisez souvent le hashtag "hashtag", vous ? Pas vraiment, si ce n'est aujourd'hui.

Mais ce genre de pique, Bénédicte Madinier y est habituée : "Internet est un domaine très délicat pour nous parce que ça favorise les échanges spontanés et qu'il y a un effet d'entraînement, de surenchère permanente."

Comprendre : ce n'est pas le domaine technique en question qui est ardu, mais la réception par les premiers concernés, prompts à railler toutes les propositions. "Le public d'Internet est très réactif et il est entraîné à ça. C'est très bien, mais il reste que la langue est d'une subjectivité terrible. Les mots ne sont pas beaux ou ridicules, ils sont juste ce qu'ils sont."

Et le mot-clic ?

Les Québécois, eux, ont tranché pour #motclic. Voila. ledevoir.com/opinion/blogue...#motdiese #motcroisillon
— Geoffrey Bonnefoy (@clarkent2007) January 23, 2013

Pourquoi n'avoir pas choisi la terminologie québécoise ? Ils font machine arrière malgré les efforts qu'ils ont fait pour l'implanter, précise Bénédicte Madinier.

"On travaille beaucoup avec les Québécois. Un jour, ils nous ont montré leur trouvaille. Ils sont venus nous dire combien c'était formidable. Mais ils sont revenus plus tard pour nous dire que ça n'avait pas pris du tout, et de notre côté, nous avons conclu que le mot n'était pas adapté à la notion."

Il n'y a pas que le Web

Les pisse-froids qui râlent contre "mot-dièse" ont oublié qu'il y a 20 ans on disait "walkman" à la place de "baladeur". #BelleFrancisation
— joel ronez (@ronez) January 23, 2013

Mis à part Internet où les recommandations choquent un peu, les 18 commissions du dispositif d'enrichissement de la langue française, installées dans les ministères, qui se réunissent à peu près 150 fois par an, font de très nombreuses propositions dans tous les domaines.

Et, surprise, la plupart des cas ne font pas polémique. Une autre définition, parue en même temps que "mot-dièse", fait nettement moins de vagues : "Etablissement à effet levier", pour le terme économique "Highly leverage institution".

"La commission générale fait vraiment un travail d'une précision extrême, il n'est pas rare de statuer sur des termes d'ingénierie nucléaire ou de techniques spatiales", précise Bénédicte Madinier.

Chaque terminologie, et sa définition, font l'objet de discussions entre experts du domaine concerné et les spécialistes de la veille terminologique pour faire une proposition simple, accessible, et pour trouver l'équivalent français le plus approprié. Lorsque tout le monde s'est mis d'accord, la commission générale en discute et envoie le tout à l'Académie française qui a toujours le dernier mot. L'étape suivante, c'est le Journal officiel.